• Génération Gris - Génération 4 - Chapitre 41

    Génération Gris - Génération 4 - Chapitre 41

    William

    Les jours suivant cet appel inattendu m'ont semblé bien étrange. Je ne savais pas comment réagir, ni quelle information devait susciter le plus de réactions. Qu'est-ce qui était le plus important ? Connaitre l'identité de ma mère ? Apprendre qu'elle est décédée et que je ne pourrais donc jamais faire sa connaissance ? Découvrir que j'ai une sœur, quelque part, et dont j'ignorais tout de son existence jusqu'à aujourd'hui ?
    J'étais dans un état second. Grace ne savait pas comment elle devait agir vis-à-vis de moi. Je culpabilise énormément pour cela. Elle a autre chose à penser avec sa grossesse et elle ne devrait pas se préoccuper autant pour moi. Je sais qu'elle a eu autant de difficultés que moi pour dormir depuis. Moi, parce que j'ai de nouveau des insomnies. Elle, parce qu'elle guettait mes insomnies.
    J'ai donc repris rendez-vous avec ma psychologue. Cela faisait plusieurs mois que je ne la voyais plus. Je suis rassuré sur mes compétences parentales et je sais que je ne reproduirais pas les mêmes erreurs que mon père avec ma fille et le bébé. Quand j'ai vu que la nouvelle grossesse de Grace ne me provoquait pas d'angoisse, j'ai pensé que je n'avais plus besoin d'aller voir quelqu'un.
    Mais l'appel du notaire m'a perturbé et je sais que j'ai besoin de retourner voir la psychologue pour remettre mes idées en place et faire le point sur la situation. Et puis, cela a rassuré Grace que je reprenne rendez-vous, et ça, c'est bonus. Je n'ai pas envie qu'elle se fasse du soucis pour moi.

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    En tout cas, j'ai du prendre rendez-vous avec ce notaire, et me rendre à Brindleton Bay. J'aurais pu tout régler avec un notaire de San Sequoia, mais j'avais besoin d'aller là-bas. De rencontrer cet homme, de voir cet endroit où ma mère a vécu. De discuter de la situation de vive voix avec celui qui gère la succession de ma mère.
    Il m'a expliqué qu'en tant que son fils, j'avais le droit à la moitié de l'héritage de ma mère. J'ai refusé. Je ne l'ai jamais connu, j'étais trop jeune pour avoir des souvenirs d'elle quand elle est partie. Et je trouve ça injuste d'enlever une partie de ce qui revient de droit à sa fille, qui a vécu toute sa vie avec elle, qui partage des souvenirs avec elle. Je ne peux décemment pas débarquer de nul part et réclamer la moitié d'un héritage que je ne mérite pas. Cette femme m'a mise au monde, mais elle n'est pas ma mère.
    Néanmoins, lors de ce rendez-vous, le notaire m'a fait part du souhait de ma sœur de me rencontrer. Sur le coup, j'ai été surpris, n'ayant moi-même pas réfléchi à la question. Trop d'informations d'un coup, je ne me suis même pas demandé si je voulais la rencontrer. Elle, la seule personne susceptible de répondre à des questions que je me pose depuis toujours. J'ai pris le numéro de Sofia, ma sœur donc, et j'ai pris quelques jours pour réfléchir. Avais-je envie de la rencontrer ? Avais-je vraiment envie de savoir ?
    J'étais perdu, je ne savais pas quoi faire. Grace, elle, m'a conseillé de l'appeler. Si je ne souhaitais pas avoir de réponse, je n'étais pas obligé de poser des questions. Mais, si cette femme souhaitait me rencontrer, c'est peut-être parce qu'elle avait aussi des interrogations et, au contraire de moi, elle avait besoin de réponses. J'ai alors réalisé que ce serait égoïste de ma part de refuser de la rencontrer. J'ai réalisé que sa vie, à elle aussi, a peut-être aussi été bouleversée en découvrant l'existence d'un frère.

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    Je l'ai donc appelé. J'avais du mal à réaliser que j'avais ma sœur au téléphone. Au ton de sa voix, j'ai deviné que c'était étrange pour elle aussi. J'ai alors appris qu'elle vit à San Myshuno, et cela m'a fait encore plus drôle. Depuis tout ce temps, sans le savoir, j'ai une sœur qui vit non loin de chez moi. Nous avons donc convenu de nous retrouver dans le Simbucks du Quartier Chic.
    Je suis arrivé en avance aujourd'hui. J'étais trop nerveux pour rester chez moi, et Grace devenait folle à me voir tourner en rond. L'attente m'a paru durer une éternité, et cela ne m'a même pas permis de mettre de l'ordre dans mes idées. Je ne sais pas ce que je vais lui dire...
    Et là, je vois une femme arrivée dans le café. Je n'ai pas vu de photos, mais je sais que c'est elle. Je reconnais chez elle des traits similaires aux miens, et je dois avouer que c'est très perturbant.
    -Bonjour, vous êtes bien William ? Me demande-t-elle tout en s'approchant de la table où je me suis installé.
    -Oui, c'est moi. Lui confirmé-je après l'avoir salué. Mh, je pense qu'on peut se tutoyer ? Et appelle-moi Will. Ajouté-je ensuite après qu'elle ait accepté le tutoiement. La seule personne au monde qui m'appelle William est mon père et c'est donc terriblement désagréable d'entendre mon prénom en entier.

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    Sofia s'installe donc en face de moi, et nous nous regardons pendant de longues minutes sans rien dire. La situation est terriblement bizarre et nous sommes tous les deux mal à l'aise. J'ai grandi fils unique et je ne sais pas ce que je suis censé lui dire. A l'expression de son visage, je devine que c'est la même chose de son côté. Mon regard se perd dans la contemplation du paysage à travers la fenêtre, mes pensées se bousculent et je suis toujours autant perdu.
    -Je dois t'avouer que je ne sais pas trop par où commencer. Finit-elle par dire après avoir regardé ses mains pendant de longues minutes. Je... Je crois que je réalise pas trop la situation.
    -On est deux dans ce cas. Lui réponds-je dans un soupir. J'étais loin d'imaginer que j'avais une sœur, quelque part.
    -Et moi, un frère...
    -Comment tu as découvert mon existence, d'ailleurs ? Le notaire m'a dit que c'est toi qui lui a parlé de moi. Demandé-je, étant véritablement la seule question dont je souhaite connaitre la réponse. La seule qui ne concerne pas ma mère directement.

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    -Et bien... j'ai fait du tri dans les papiers de ma ... de MamanCommence-t-elle à me répondre, en laissant échapper un cafouillage. Je devine qu'elle a voulu dire "ma mère" avant de se reprendre, de se rappeler que sa mère est également la mienne. Et dans un dossier, j'ai découvert deux enveloppes. Une qui m'était directement adressée, et une autre... qui était pour un certain William Hanks. Avoue-t-elle alors que je me tends aussitôt. Avant sa mort, ma mère a laissé une lettre à mon intention ? Après toutes ces années, elle a tenu m'adresser quelques mots ? Cela me semble absurde. Si elle voulait me dire quelque chose, elle aurait du venir me voir directement. Je n'ai pas compris, alors j'ai ouvert ma lettre. Dedans, elle m'a expliqué qu'avant de rencontrer mon père, elle a été mariée à un autre homme et qu'avec lui, elle avait eu un enfant... Je crois qu'elle ne voulait pas partir en emportant son secret dans la tombe.
    -Elle... Elle n'avait jamais parlé de moi ? Soufflé-je alors, encaissant douloureusement l'information. Quelque part, j'espérais que la version de mon père sur l'absence de ma mère dans nos vies étaient fausses. Mais le fait qu'elle ait vécu tant d'années sans évoquer son propre fils semble montrer que mon père ne raconte pas que des mensonges.
    -Non, jamais. Me confirme Sofia avec un air désolé. J'ignore si mon père était au courant par contre, mais je n'en ai jamais rien su. A vrai dire, je n'ai pas souvenir qu'elle ait déjà parlé de sa vie avant de rencontrer mon père.
    -Ton .. père n'est plus là non plus ?
    -Non, il est décédé quand j'avais 12 ans. J'ai longtemps vécu seule avec ma ... Maman. Elle me parlait beaucoup de sa rencontre avec mon père, de leur vie ensemble, mais cela n'allait jamais plus loin. Parfois, elle me parlait de son enfance... Mais c'est tout. Maman n'était pas non plus une grande bavarde. Elle... Elle avait souvent l'esprit ailleurs.
    -Je vois... Soufflé-je, l'air ailleurs. Je m'affaisse contre le dossier de ma chaise, et je ne sais plus quoi dire. Je pourrai poser tellement de questions, l'interroger sur comment elle était, sur son caractère, sur ses souvenirs... Mais à quoi bon ? A quoi cela me servirait de connaitre des souvenirs que je n'ai pas pu vivre ?
    -Et toi... Tu... Tu as des souvenirs de ... d'elle ? Me demande timidement Sofia après un silence.

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    -Non. Réponds-je directement, sans prendre de détour. Elle est partie peu de temps après ma naissance. Mon père m'a dit qu'elle n'était pas faite pour être mère. Elle serait tombée enceinte par accident, et elle aurait préféré partir plutôt que d'être une mauvaise mère.
    -Je.. C'est terrible... Mais... Ce que tu me dis, cela me semble tellement éloigné de... De ce qu'elle était. Elle, elle a toujours été une bonne mère, pour moi.
    -Je te rapporte ce que m'a toujours raconté mon père. Haussé-je simplement les épaules. Et pour être honnête, je ne sais pas si on peut se fier à sa version. Mon père est à des années lumières d'être le père de l'année. Je ne serai pas étonné d'apprendre qu'il m'a menti pour servir ses intérêts et que je ne cherche pas à retrouver ma mère. Lui signalé-je, espérant la rassurer sur l'image qu'elle a de sa mère. Le but de cette rencontre n'est pas de briser ses souvenirs avec elle. Son seul but dans la vie était de faire de moi le digne successeur de ses affaires. Ce qui n'a pas fonctionné, mais ça, c'est une autre histoire.
    -Et tu.. Tu n'as jamais essayé... de la retrouver ?
    -Non. J'ai grandi sans mère et j'ai toujours considéré que je n'en avais pas. Je n'ai jamais ressenti ce besoin de savoir qui elle était... Et je ne voulais pas savoir si mon père disait la vérité ou non. Mais je n'ai jamais imaginé qu'elle finirait par resurgir d'une manière ou d'une autre dans ma vie.
    -Je... je suis désolée pour ça...
    -Ne t'excuse pas, cela ne fait rien. Et ... J'imagine que tu avais besoin de réponse aussi ? Supposé-je alors qu'elle confirme d'un hochement de tête.
    -Je dois t'avouer que cela m'a fait un choc quand j'ai découvert que Maman a eu un autre enfant. Je me suis demandée ce qu'il s'était passé, pourquoi elle avait caché ton existence durant toutes ces années, pourquoi tu ne vivais pas avec nous. Maman n'est pas entrée dans les détails dans sa lettre. Elle m'a juste dit que tu existais et qu'elle tenait à ce que je le sache. Alors... J'avais besoin de savoir qui était ce frère, qu'est-ce qui s'est passé ... De savoir si toi, tu savais que nous existions.

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    -Mh, je suppose que tu as eu en partie tes réponses, du coup.
    -J'ai encore une question... M'avoue-t-elle timidement. Pourquoi tu as refusé ta part de l'héritage ?
    -Parce que cette femme n'est pas ma mère. Lui réponds-je avec honnêteté. Certes, elle m'a mise au monde, mais elle n'a jamais fait partie de ma vie. Je ne connaissais même pas son nom, je ne sais pas à quoi elle ressemblait. Pour moi, je n'ai pas à revendiqué quoi que ce soit. Et cela me semble normal de tout te laisser, que ce soit sa maison, ses biens ou ses fonds financiers. C'était ta mère, tes souvenirs, et cela te revient de droit.
    -Je... Je te remercie. Me dit-elle, alors que je lui réponds qu'il n'y a pas de quoi.
    Un nouveau silence s'installe entre nous. Je dois avouer que je ne sais plus quoi dire. Je ne pense pas que j'ai besoin d'en savoir plus concernant la situation ou ma mère. Je réalise que ma position n'a pas changé : je ne veux rien savoir d'elle, tout simplement parce qu'elle n'a jamais fait partie de ma vie. J'ai créé ma propre famille aujourd'hui, et je n'ai pas envie de me tourner vers le passé.
    Mais en réfléchissant à l'avenir, je réalise qu'il y a peut-être une chose que je devrais savoir.

    -Sofia... j'ai une question par rapport... Par rapport à elle. Lui avoué-je, un peu hésitant, sachant que ce ne serait sans doute pas simple pour elle d'y répondre. Si tu ne veux pas y répondre, je comprendrais...
    -Demande toujours.
    -De quoi est-elle décédée ? Ou euh... Est-ce qu'il y a... des antécédents que je devrais savoir ? Lui demandé-je alors. La question peut paraitre saugrenue, mais j'ai envie de savoir s'il y a des risques que je développe une maladie dans le futur... Ou s'il y a un risque pour mes enfants.
    -Maman m'a dit avoir fait une dépression, il y a quelques années. M'informe alors Sofia, qui semble surprise par mes questions mais y répond sans le moindre problème. Je n'en ai pas le souvenir, mais c'est vrai qu'elle prenait régulièrement des médicaments... qui l'aidaient à aller mieux, disait-elle. Et sinon, elle avait ... Elle avait Alzheimer. Souffle-t-elle, la gorge nouée.
    -Je suis désolé...
    -Le plus dur était de la voir partir. Ajoute-t-elle dans un haussement d'épaules. Qu'elle soit physiquement là, mais qu'elle, la personne qu'elle était, avait disparu.... Mais maintenant que j'y réfléchis, c'est vrai qu'elle disait des choses bizarres quand elle était en plein délire. Elle n'arrêtait pas... Elle arrêtait pas de dire "Où est Willy ? Je veux voir Willy !". Les infirmières de la maison de retraite m'ont demandé si je savais qui était ce "Willy", mais je n'en avais pas la moindre idée. J'ai essayé de lui poser la question quand elle était lucide, mais elle disait qu'elle ne voyait pas de quoi je parlais. C'est drôle, c'est seulement maintenant qu'on en parle que je me rends compte qu'elle... Qu'elle parlait peut-être de toi.

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    Je me contente d'hocher la tête. Je dois avouer que cette révélation me perturbe. Plus que la maladie, c'est davantage l'effet que cela a eu sur elle qui me trouble. Pendant une grande partie de sa vie, elle a soigneusement caché mon existence et m'a laissé dans un coin de son esprit. Mais, de ce que je sais, cette maladie touche d'abord la mémoire à court terme et réveille les souvenirs plus lointains. Lorsqu'elle n'était pas lucide, c'est moi qu'elle réclamait.... Moi, en utilisant un surnom affectueux, que personne dans mon entourage n'utilise. M'appelait-elle ainsi pendant qu'elle était enceinte ? Lorsque je suis né ? Mais est-ce qu'une femme qui ne se sent pas d'être mère appellerait son fils ainsi ?
    Je mets ma tête entre mes mains et je respire un grand coup. Cette information me perturbe bien plus que le reste, bousculant toutes les représentations que j'avais jusqu'ici. Ma mère est-elle vraiment partie de son plein gré, m'abandonnant sciemment à mon père, ou a-t-elle été poussée à partir ?
    Je ne sais pas, je ne sais plus...

    -Est-ce que... est-ce que tu veux voir des photos ? Me propose timidement Sofia, ne sachant pas quoi faire face à ma réaction. Je la vois sortir son téléphone, et chercher à l'intérieur. Je.. je crois que j'en ai, d'avant sa maladie... Je sais que tu as dit ne rien vouloir savoir d'elle mais, euh...
    -Tu peux m'en montrer, si tu veux... Accepté-je, sans réfléchir, en m'efforçant à sourire. La voir en photo ne changera pas grand chose, à part mettre un visage sur ma mère. Je connais son nom, autant savoir à quoi elle ressemblait.

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    -Ah voilà ! S'exclame subitement Sofia. Je me souviens bien de cette journée, c'était avant que je parte pour San Myshuno pour mes études. Maman a tenu à ce qu'on passe une journée à la plage. Je crois qu'elle avait peur de se retrouver toute seule ... Alors elle voulait profiter d'une dernière journée avec sa fille.
    -Tu as fait quoi comme études ?
    -Architecture d'intérieur. Je suis décoratrice, à mon compte. M'informe-t-elle en souriant. Et toi ?
    -Je suis avocat en droit de l'enfant et de la famille.
    -La classe ! Pour en revenir à cette journée, j'avais trouvé que le ciel était beau et j'ai eu envie de prendre des photos. Maman ne savait pas que je la prenais à ce moment-là. Précise-t-elle en désignant la première photo, où je peux voir une femme blonde, de dos, marcher vers la mer. Je ne vois pas son visage, mais cela me fait drôle de me dire que cette femme était ma mère. J'ai simplement l'impression de voir une étrangère. Maman a toujours adoré la mer. Quand elle était angoissée, elle venait toujours faire un tour à la plage. Elle pouvait passer des heures à regarder l'horizon. La maison était juste à côté de la plage d'ailleurs.
    -Tu as toujours vécu là-bas ?
    -A Brindleton Bay ? Oui, je suis née et j'ai grandi là-bas. Quand mon père était en vie, on vivait dans une maison dans le bourg. A sa mort, Maman a voulu s'éloigner un peu et être dans un coin plus tranquille. La maison lui rappelait trop Papa, et elle avait besoin de changer de décor, mais pas de ville... Maman n'aimait pas la ville, la ville bien urbaine je veux dire... Elle n'a jamais voulu venir me voir à San Myshuno, même pas pour m'aider à emménager.
    -... Je suis né et j'ai grandi à San Myshuno... Soufflé-je, lui donnant, peut-être, un début d'explication.

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    Elle se contente d'hausser les épaules, comme si la raison de ce refus n'avait plus d'importance aujourd'hui, et change de photo sur son téléphone.
    -Là, elle avait remarqué que je la prenais en photo. M'explique-t-elle alors que je découvre pour la première fois de ma vie le visage de ma mère. Cela me fait drôle de la voir, de reconnaître certains de mes traits chez elle. Je reconnais mon nez, je reconnais mes yeux. J'essaie de voir d'autres similitudes, mais je remarque surtout son sourire qui semble forcé, et la tristesse qui semble se dégager d'elle. Les années ont marqué ses traits, mais il y a également autre chose qui a laissé des traces sur son visage, sans que je ne puisse définir quoi exactement. Elle n'aimait pas spécialement être prise en photo, mais je crois qu'elle a laissé couler pour me faire plaisir... Maman ne se trouvait pas belle. Souffle Sofia, l'air ailleurs. Elle n'a jamais pris particulièrement soin de son apparence. Je ne crois pas l'avoir déjà vu maquillée ou apprêtée, même pour Papa. Ca s'est accentuée après sa mort d'ailleurs, où elle optait toujours pour des vêtements larges et confortables. Cela m'a rendu triste par moment, car je l'ai toujours trouvé belle et que c'était dommage qu'elle se laisse aller. Je me souviens que je n'aimais pas cette robe, je trouvais que c'était une robe de grand-mère. M'avoue-t-elle en laissant échapper un petit rire. Je l'écoute sans rien dire, devinant que cela lui fait sans doute du bien d'évoquer des souvenirs de sa mère.

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    Sofia fait défiler une nouvelle photo. Sur celle-ci, la tristesse n'est pas dissimulée. Son regard semble perdu, et son esprit devait être ailleurs. Je dois avouer que mon cœur se serre en la voyant ainsi. J'ai imaginé ma mère de plusieurs façons, mais je ne l'ai jamais vu malheureuse. Pour moi, puisqu'elle m'avait abandonné et qu'elle ne voulait pas de moi, elle devait forcément être plus heureuse ailleurs.
    -Maman avait souvent cet air triste. Me précise alors Sofia. Je ne sais pas pourquoi. Des fois, on passait un bon moment ensemble, et puis soudain, elle était ailleurs et c'était comme si elle ne ressentait plus la joie. Quand j'étais enfant, je faisais l'andouille pour lui redonner le sourire, ou je lui faisais un dessin... Ce jour-là, je crois que j'ai simplement changé de sujet. Il me semble qu'elle me demandait d'arrêter de la prendre en photo, et que je lui avais répondu qu'il fallait que j'améliore mes compétences en photographie pour mon école. Sur le coup, j'ai cru que c'est la perspective de mon départ pour San Myshuno qui l'avait rendu triste. Aujourd'hui, maintenant que je sais qu'elle avait un autre enfant ailleurs, je me demande si elle n'avait pas l'impression de perdre encore un enfant.
    -La vie n'a pas du être rose tous les jours. Supposé-je alors.
    -Oh je me plains pas. Maman faisait de son mieux, surtout après la mort de Papa. Elle devait gérer la maison, son travail, et moi qui entrait dans l'adolescence... J'avoue que je ne lui ai pas forcément rendue la tâche facile tous les jours. Mais elle a tout donné pour que je puisse faire les études que je voulais et elle a été d'un soutien sans faille quand... je lui ai dit que j'aime les filles. Me raconte-t-elle, après une brève hésitation sur la fin. Je me contente d'hocher la tête, et j'essaie d'imaginer la tête de mon père si j'avais été gay et que je lui avais fait mon coming-out. Je pense qu'il m'aurait renié bien plus tôt.
    -C'est une bonne chose pour toi. Ca te permet de garder de bons souvenirs d'elle, et de les faire vivre.
    -Sans doute. Tu veux que je t'envoie les photos ?
    -Non merci... Enfin si, peut-être celle où elle sourit. Accepté-je finalement, songeant à Grace qui voudrait sans doute la voir, à mes enfants qui poseront peut-être des questions sur mes parents dans quelques années.

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    Sofia pianote sur son téléphone avant de le ranger. Je sens le mien vibrer dans ma poche et je devine qu'elle a envoyé la photo. Nous nous observons quelques instants, sans rien dire. Je sens que la conversation concernant ma mère est arrivée à la fin, et nous ne savons plus quoi faire de notre situation actuelle.
    -Avant que j'oublie, je voulais te donner ça, aussi. Dit-elle tout en sortant une enveloppe de sa poche pour la poser face à moi sur la table. Mon nom est écrit dessus et je devine de quoi il s'agit. C'est la lettre dont je t'ai parlé.
    -Merci. Soufflé-je tout en prenant l'enveloppe. Je la regarde un instant, ne sachant pas si je dois l'ouvrir ou non. Des réponses se trouvent sans doute à l'intérieur, et je ne sais pas si j'ai envie de les connaitre. Il y a quelques heures, j'aurais jeté cette lettre sans la moindre hésitation. Maintenant, après ma rencontre avec Sofia et ce que j'ai appris, je ne suis plus aussi sûr de moi.
    -Dis-moi, Will... est-ce que ... Commence Sofia, hésitante. Je lève mon regard de l'enveloppe, et je la glisse rapidement dans ma poche. Ce n'est pas maintenant que je vais prendre une décision concernant cette lettre de toute façon. Est-ce que tu accepterais que l'on reste en contact ? Me demande-t-elle ensuite. Je ne dis pas que l'on va créer une relation fraternelle tous les deux... Mais j'ai envie de te connaitre et ... Peut-être... Peut-être que l'on pourra être ami ?
    -Ce... ce serait avec plaisir oui. Accepté-je avec un sourire, alors que je sens mon téléphone vibrer une nouvelle fois dans ma poche, plus longtemps cette fois-ci. D'autant plus que l'on habite pas si loin l'un de l'autre. Tu vis dans quel quartier de San Myshuno ? J'ai vécu dans le Quartier des Epices il y a quelques années.
    -Je vis dans le quartier de la mode... Avec ma copine. Elle est styliste.
    -C'est chouette. Je ne connais pas du tout ce quartier, mais il doit être parfait pour elle du coup. Lui dis-je, un peu distrait par mon téléphone qui ne cesse de vibrer dans ma poche. Je finis par le sortir et je remarque que Grace a essayé de m'appeler... Deux fois.
    -Tout va bien ?
    -Oui c'est Grace... ma femme... elle a essayé de me joindre.
    -Oh tu es marié ?
    -Non, juste fiancé. On n'a pas fixé de date pour le mariage encore. Lui avoué-je, alors que je sens ma main trembler. Elle est enceinte, de notre deuxième enfant. On a déjà une petite fille. Excuse-moi, je dois la rappeler.
    -Oui, oui vas-y. Me répond-t-elle, un peu sonnée par les informations que je lui transmets sur ma vie. Elle a découvert un frère, et maintenant, elle découvre qu'elle a également une nièce, et qu'un autre bébé va venir agrandir la famille. Cela fait sans doute beaucoup à digérer d'un coup.

     

    *   *   *

     

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    Grace

    J'essaie de respirer, et de ne pas paniquer, tandis que je sens les contractions s'intensifier. J'ai essayé de tenir le plus longtemps possible avant d'appeler Will, sachant qu'il est en train de faire connaissance avec sa sœur. Mais je ne tiens plus et il faut absolument qu'il rentre à la maison.
    Quand Will m'a annoncé que sa mère est décédée et qu'elle a eu un autre enfant, j'étais sous le choc. Je ne m'attendais pas à ce qu'il ait des nouvelles de sa mère un jour. Lui non plus, et j'ai eu peur qu'il ait de nouveaux des angoisses. J'étais toujours sur le qui-vive, à l'affût du moindre signe de fatigue ou de balades nocturnes. Finalement, il a pris rendez-vous chez sa psychologue, et j'étais soulagée de voir qu'il prenait les mesures nécessaires pour réussir à gérer la situation.
    Quand il m'a annoncé qu'il allait rencontrer sa sœur, je lui ai proposé de l'accompagner, comme je l'ai accompagné à Brindleton Bay. Cette fois-ci, il a refusé. Il voulait le faire tout seul.
    Du coup, quand il a pris la route pour aller à San Myshuno, j'ai proposé à ma mère de venir à la maison. Si je restais toute seule à attendre le retour de Will, à juste m'occuper de Prue, je savais que je deviendrais dingue.
    Nous avons beaucoup parlé de la situation de Will avec Maman. C'est tellement énorme que c'est devenu le sujet de conversation principal. Maman s'inquiète pour lui, espère que cela ne va pas trop le perturber. Je lui ai répondu que, peu importe ce qu'il se passe par la suite, nous serions là pour lui. Quoiqu'il arrive.
    Néanmoins, le bébé a cru que c'était le bon jour pour pointer le bout de son nez.

    -Tu es sûre que tu ne veux pas que je t'emmène ? Me demande Maman, cinq minutes après que j'ai enfin réussi à avoir Will au téléphone.
    -Oui je suis sûre. Lui réponds-je, en essayant de respirer calmement, alors que j'invoque tous les dieux de l'univers pour que Will ne reste pas coincé dans les bouchons. Et puis, il faut bien quelqu'un pour garder Prue.
    -Je peux juste t'emmener et te déposer à l'hôpital... On a juste à prendre ta voiture et installer Prue dans le siège bébé.
    -Maman, fais pas genre. Si tu m'emmènes, tu ne voudras pas partir tant que Will ne sera pas là... Et même s'il est là, je ne suis pas sûre que tu voudras retournée à la maison. Lui signalé-je et je devine à sa moue que j'ai raison. Je ne veux pas perturber Prue, Maman.... Will va vite arriver.
    -J'espère. Me dit Maman, tout en câlinant ma fille pour éviter qu'elle remarque que sa maman a mal.

    Génération Gris - Génération 4 - Chapitre 41

    Par chance, Will arrive vite à la maison. Le pauvre est complètement paniqué. Il prend toutes les affaires et les met dans la voiture en 4e vitesse. Je m'en veux de lui faire subir ça. Le pauvre n'a pas le temps de digérer sa rencontre avec sa sœur qu'il doit m'emmener à l'hôpital pour accoucher. Hop, une sœur et un nouveau bébé dans la même journée, on peut difficilement faire un programme plus chargé !
    Will tente de me rassurer et me dit que tout va bien, mais je ne peux m'empêcher de culpabiliser. Ma mère me rappelle que ce n'est pas moi qui ait décidée d'accoucher aujourd'hui, tandis que Will me traine pour que je monte dans la voiture. Maman nous promet de bien s'occuper de Prue en notre absence et nous prenons la route jusqu'à l'hôpital.
    J'essaie d'interroger Will sur sa rencontre avec sa sœur. J'ai envie de savoir et cela me permettra de penser à autre chose qu'aux contractions. Le bougre se contente juste de me dire que cela s'est bien passé et qu'on en parlera plus en détails plus tard. Mais ce n'est pas plus tard que je veux savoir, c'est maintenant ! Je tente d'en savoir plus, mais impossible de lui tirer les vers du nez.
    Une fois arrivés à l'hôpital, nous sommes vite pris en charge par le personnel de la maternité. Je me retrouve également à marcher dans tout l'hôpital en blouse, histoire d'accélérer un peu plus le travail.

    -C'est pas censé être plus rapide pour le deuxième ? Bougonné-je, alors que je n'ai qu'une envie : que ce bébé sorte !

    Génération Gris - Génération 4 - Chapitre 41

    Après un temps qui me semble interminable, je finis par entrer en salle de travail, avec la grosse machine impressionnante, qui ferait flipper n'importe qui. Je m'installe sur la table, et hop, c'est parti. Il n'y a plus qu'à attendre que le médecin sorte mon bébé de mon ventre.
    Will est en panique. Ce n'est pourtant pas le premier accouchement. Mais je pense que cela fait beaucoup pour lui pour aujourd'hui. Au moins, cela a le mérite de le faire penser à autre chose.

    -Will, calme-toi, tout se passe bien. Soupiré-je, alors qu'il demande au médecin si tout va bien pour moi et le bébé toutes les cinq secondes. Normalement, c'est moi la relou insupportable.
    Ma remarque ne manque pas de faire rire le médecin. Je le fusille alors du regard. C'est Will qui est censé rigoler, pas lui ! Heureusement que j'ai besoin de lui en cet instant précis sinon je l'aurais envoyé bouler !

    Génération Gris - Génération 4 - Chapitre 41

    Et puis, au bout d'interminables minutes, ses premiers cris se font entendre. Notre bébé est enfin là, avec nous, et nous fait le plaisir d'agrandir notre famille. Je suis soulagée que ce soit fini, Will se détend enfin.
    Je le vois tout aussi ému que lorsque Prue est née. Son regard est rempli d'amour, et quand il découvre notre fille, je vois qu'il l'aime tout autant que notre aînée.
    Je m'empresse de me lever de prendre Piper dans mes bras. Elle est absolument magnifique et je suis heureuse de pouvoir enfin la tenir dans mes bras.
    Bienvenue à toi, ma fille, ma petite Piper.

     

     


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